CRÉMATOIRE
Vous êtes si nombreux déjà
a préférer le feu à l’ombre
la cendre à la poussière
l’urne à la tombe
En restera-t-il encore beaucoup parmi nous
qui partirons portés en terre
dans le creux d’un caveau
Vous vous élevez droit devant nous
et partez au ciel en fumées
et vous nous laissez ici-bas
fumures
Vous croyez ne pas venir de la terre
pour ne devoir y retourner ?
Ses boues ses miasmes ses palus
ses détritus son humus
vous ne les voulez pas
Fusibles oui fusion non
calciné oui calcairisé non
Tout néon tout show dernier cri
tout feu tout flambant aller à l’Au-delà
étincelles paillettes féeries
Les flammes de l’enfer répugnent à votre esprit
Quand votre cinéma s’arrêtera
votre image se cloquera sans grand dégât
si elle survit déjà pixellisée électronisée
intronisée enluminée
dans les temples des octets gigas
Personne ne viendra maçonner vos abords
et seuls des jardiniers aux pas caoutchouteux
fouleront un gazon aux aspects d’un eden
animé seulement par des nains de jardin.
Vous ne voulez ni vous fondre ni fondre
et par votre brasier
de la Terre des hommes de la glèbe féconde
perpétrer la consomption
et brûler d’un éclat que la vie nous mesura
De quelle parole manquée de quel contrat violé
incendiez-vous les archives par au autodafé
Faut-il laisser la Terre vierge
de notre séjour Occupation ?
Ainsi aucune fouille ne relèvera un jour
votre dépouille
aucune autopsie aucune exhumation
rien qui ne reviendra
pour un posthume sinon dernier
jugement
D’où croyez-vous que vous sortez?
Vous ne voulez rien retrouver
des gargouillements et des clapotements
du lent enfantement du ventre de nos mères
Voulez-vous seulement de votre naissance
retrouver la brûlure première du premier souffle
en votre sein déployé par la vie à sa source
sous vos yeux là déclore en toute innocence
Vous ne voulez relever d’aucun culte
et n’élever jamais de fière sépulture
où le gisant glacial en marbre prétentieux
semble faire leçon à sa progéniture
Fils de personne Père de rien
le vieux mourant s’efface
face à l’enfant permanent
conçu hors-ventre disparu hors-sol
L’Arbre de la Connaissance Promise
est là qui nous attend dans la terre de Vie
vous prenez de son bois pour votre bucher
nous nous contenterons de ses feuilles d’automne
tombées dans le terreau et le tuffeau trop lent
À Auchwicht, Tréblinka Monthausen
le crématoire a retenu le sel dû à la terre
et noirci le ciel de lourdes suies
Oh les scories sont toujours fécondes
mais de quoi ?
CARMIQUEL