Le jet d’eau du bassin ressasse une eau brouillonne
le sommeil se refuse le songe vagabonde
et notre âme ce soir avec l’ennui va l’amble
Le ciel est un abime où les astres s’effondrent
l’avenir une énigme que notre angoisse sonde
Porterons-nous jamais notre vie à son comble?
Nos pères sont absents et dans la nuit résonne
des danses et des rondes sur des airs de sitars
ô femmes de nos pères
est-ce pour les narguer que vous dansez ce soir?
IIs vous ont acheté - pour qu'elles vous secondent !
quelques blanches captives aux nuques toute blondes
Que nous appelez-vous à rentrer dans la ronde?
Mais vous n'avez pour nous jamais un vrai regard
et votre moquerie transpire sous vos fards
et nous serrons les poings et nous mordons nos doigts
L’arène de nos cours est une aire trop ronde
le pur-sang y renâcle et le chameau bougonne
Notre vie n’est plus là - il faut qu’on les arçonne:
nous partons
Le remord vous morfonde!
Le chagrin est un poids qu'un jour on abandonne
Le pas qui se soulève
et le sabot qui va
laissent derrière soi un sable sans mémoire
Le chemin sera long puisque la terre est ronde
L’assaut des hamadas de leurs parois brutales
nous coute en escalades... et en dégringolades
Les lits des oueds, plus lents mais plus commodes
- la patience est de règle quand les crues les abondent -
guideront notre route
toujours vers plus d'amont.
Fort tard le soir au centre d’un bazar
de las contrebandiers sortent de nulle part
Au fond de leurs paniers ces lascars nous font voir
leurs lots de contrebande vendus avec l'espoir
que nous faisons commerce de nos beaux nonchaloirs
ils peuvent nous pousser durement dans le noir
du bout de leur poignard nous montrer les boudoirs
répandre sur le sol l'excellence des nards
nous avons la souplesse, les feintes des lézards
Venues de Trébizonde la mésange et l’aronde
choisiront notre route; Médine Golconde?
n’importe! Le chemin sera bon
tant que la terre abonde
Les rives des séguias ont des sables fragiles
retenons le galop de nos bêtes fébriles
laissons-les s’ébrouer aux eaux qui les fraichissent
Et puis rangeons nos frondes quand passent les palombes
Dans les douars certains soirs au chant de nos sitars
les fils des chameliers crânement nous font voir
de lascives piétés pleines de désespoir
Et l'amitié nous prend alors avec leurs rondes
où s’enroulent nos pas autour du feu qui gronde
À l'entrée des déserts les routes abandonnent
Mais le ciel transparent est une mappemonde
Désormais tout là-haut: portulans et calendes
Nous en savons les signes et lire la légende
Les lits des oueds ont des gorges profondes
la patience est la règle quand les crues les abondent:
laissons passer
sourds à l'écume qui monte
la charge de mouflons des eaux qui les inondent.
Le peuple des marais envoie en ambassade
ses plus belles enfants aux senteurs de muscade
les mères ont lâché leurs cheveux qui tombent en cascade
dans leur dos tout le long sur des reins à ruades
Elles aiment leur époux mais goutent nos manières
et prêtent sans ciller leur bien joli derrière
Les hommes ont disparu de toute la clairière
Les hommes ont disparu et nous laissent carrière:
un sang débilité coule dedans leur veines
Pour redonner des mâles à leur race guerrière
d'un trait de notre dard ils veulent qu'on écussonne
le tronc de leur lignée et ses branches graciles
Nous ne toucherons pas, pas cette fois encore
au vieil ordre des choses, à la marche du monde
nous verserons nos nards dans les croupes infécondes.
Les lits des oueds ont des rives friables
Arrêtons les sabots de nos bêtes exsangues
laissons passer le trot
des flots qui les agitent
Où la route abandonne et le retard s'invite
la patience est de règle et l'ennui est son lot
notre coeur est un eau qui vire au marigot
Avec un peu de chance l'attente n'est pas longue
voici venir bientôt avançant dans les joncs
haut-perchés et mouvants de tout jeunes garçons
étroits, droits et d'un noir de charbon
Nous n'avons entre nous nul secours d'un idiome
cependant nous parlons, d'une voix qui bougonne
ils aiment la menace qui perce la faconde
Et sombres sommeliers dès le soir ils font boire
les élixirs fatals aux désirs qui débordent
et coulent sur le sol leurs formes longilignes
sur le sable humecté des vins qui surabondent
Leur âme est droite aussi et jamais ils ne frondent
Leurs yeux noirs brûlent d'un feu où gronde
de lueurs d' insoumis qui jamais ne pardonnent
Le sable est une mer où les bêtes ahânent
et la dune s’écroule sous le sabot qui flanche
L’horizon est brûlant d’une lueur trop blanche
le roulis est un shit qui monte dans nos lombes
le soleil un nard patient qui nous plombe
Mais pour l’homme ces feux sont une manne
un temps à lui donné pour regarder son âme
Que le chemin est long puisque la terre est monde
et demain est un mal qu'on ne doit à personne
la patience est de règle où le coeur abandonne
le pas qui se soulève
et le sabot qui va
ne marquent même pas les sables insondables
CARMIQUEL Sables